La poste face à l’année terrible (1870-1871)

Première publication : le 10 mars 2013

Des élèves de Première découvrent un aspect méconnu de l’activité postale.

Quel point commun peut bien réunir Archimède, Faidherbe, Garibaldi, Georges Washington, la ville de Paris, l’armée de la Loire ou Chateaudun ? Que sont ces énigmatiques boules de Moulins jetées dans la Seine et à quelle unité de mesure renvoie le terme de pigeonsgramme ?

La classe de 1re 10 S a trouvé les réponses au musée Saint-Germain où les associations Adiamos 89 et l’Amicale philatélique auxerroise avaient organisé une exposition intitulée « Les services postaux dans l’année terrible ».

303-1

L’année terrible est une expression qui a été inventée par Victor Hugo pour titrer l’un de ses recueils poétiques (1872), évoquant les dix mois de bouleversement provoqués par la guerre de 1870. Après la cuisante défaite de l’armée française à Sedan, Napoléon III capitule le 2 septembre 1870. Les évènements s’enchaînent ensuite. Le 4 septembre à Paris, un gouvernement provisoire proclame la République et souhaite poursuivre la guerre alors que Paris est assiégé par les troupes prussiennes. Le 7 octobre 1870 Léon Gambetta, l’un des ministres du gouvernement de Défense nationale, quitte en ballon la capitale et anime depuis Tours la défense en province. Le 29 janvier 1871, le gouvernement replié à Bordeaux signe l’armistice. Le 17 février 1871, la nouvelle assemblée élue charge le chef de l’Exécutif Adolphe Thiers de reprendre Paris. Le 18 mars, sa première tentative déclenche une révolte populaire qui débouche sur la Commune de Paris, un gouvernement insurrectionnel et communiste. Le 10 mai 1871, le gouvernement signe le traité de Francfort qui fait perdre l’Alsace-Moselle à la France. Lors de la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai, l’armée de Thiers (les Versaillais) reprend Paris et écrase la Commune dans le sang.

Durant cette « année terrible », il a fallu continuer à faire passer des messages (militaires, gouvernementaux, civils..) entre Paris et la province, entre la zone occupée et la zone libre. Plusieurs solutions ont été trouvées par les services postaux pour contourner les armées prussiennes.

Les élèves ont déjà découvert ce que les générations précédentes avaient appris à l’école : l’existence de la guerre de 1870, la « résistance » et le départ en ballon de Gambetta, l’épisode de la Commune de Paris et sa répression. Cette visite servira d’introduction au dernier thème du programme d’Histoire : « La République, Trois Républiques » qui doit débuter par les années 1880 afin d’étudier l’enracinement de la République en France, ce qu’évoque aussi l’exposition.

303-2

La classe s’est beaucoup intéressée aux ingénieux moyens déployés pour acheminer le courrier. Les boules de Moulins, du nom de la ville de l’Allier où était centralisé le courrier de la province non occupée, étaient des ballons de zinc hermétiques, contenant 5 à 600 lettres, et qui devaient gagner Paris par la Seine grâce à un système d’ailettes et grâce à des filets parisiens pour les recueillir. Mais cela échoua. A la différence du « pigeonsgramme », un système qui plaçait dans un tube d’1 gramme des dizaines de dépêches photographiées et miniaturisées (des microfilms avant l’heure). Les pigeons étaient sortis de la capitale en ballon puis, une fois en province, équipés de leur tube et relâchés pour rejoindre leur nid parisien. Les ballons s’élevant de Paris depuis les gares et les places ont eu un rôle crucial.
303-3

Ils étaient baptisés (Archimède, Faidherbe, Garibaldi, Georges Washington, la ville de Paris..) et permirent à chaque voyage de sortir 2 à 300 kg de courrier qui était ensuite redistribué depuis le bureau de poste le plus proche du lieu d’atterrissage. Ouanne dans l’Yonne vit ainsi se poser « le Gambetta ». A cette occasion fut inventé l’ancêtre des cartes postales. Sur une « carte-poste » pré imprimée, chacun pouvait donner de ses nouvelles comme le fit Léonie Passey, écrivant à ses parents avallonnais le 16 octobre 1870 : « nous sommes toujours bien portants tous trois » Quelquefois l’aérostier en personne se chargeait de distribuer une lettre, dite alors « pli confié ». M. Zinck, domicilié rue du pont à Auxerre reçut ainsi son courrier qui avait transité par le pilote du ballon « Le Céleste », parti de Paris le 30 septembre 1870.

Ces lettres constituent une intéressante source historique comme cette émouvante lettre du fils Potin à son père auxerrois ( ballon « l’Armée de la Loire ») évoquant les terribles privations du siège de Paris : « Le jour de l’An se passe comme Noël tristement pour tous. M. Colinot m’a promis quelques livres de cheval. Quelle fête pour nous ! ». Par ailleurs le Ballon-Poste ou Dépêche-ballon ( transmis par ballon), sous-titré « journal des évènements du siège », informait la province.

Mais ces voyages étaient dangereux et aléatoires. Il y eut des accidents et des morts. Certains ballons se perdirent dans la Manche ou en Norvège sans parler des tirs de l’armée prussienne. Aussi furent envoyés des ballons « non montés » c’est à dire sans pilote.

Les élèves ont apprécie le rôle joué par certains Icaunais à l’instar du parlementaire Rampont-Léchin, directeur-général de la Poste qui, remplacé par l’ouvrier Albert Theisz pendant la Commune, reprit ensuite son poste sans amertume et protégea son service contre le Conseil de guerre. De son côté, après la chute de la Commune, Zéphyrin Camélinat relança la Poste en récupérant du papier et en retrouvant à l’hôtel de la Monnaie les plaques d’impression des timbres.

303-5

Les précieux objets des vitrines ont sensibilisé les élèves à l’enracinement de la République en France comme dans l’Yonne : manuel d’instruction civique, carte postale de Joigny, assiette de la Défense de Paris, médailles commémoratives, tableaux et gravures de Marianne ou d’allégories républicaines…

La classe s’est aussi attachée au panneau sur les monuments aux morts de la guerre de 1870 exprimant les premières formes d’hommage moderne rendu aux morts pour la patrie. A la différence des monuments de la Grande guerre, ceux-là étaient plus originaux et réalisés par des artistes. Il en reste peu en France comme ceux de Saint-Valérien, Coulours, Egriselle-le-Bocage ou Saint-Florentin dans l’Yonne.

L’étude de la date d’émission des timbres est également instructive. Cet enracinement de la République a connu un regain durable depuis les années 50 grâce à des timbres honorant de grands républicains de l’année terrible comme Thiers, Denfert-Rochereau ou Jules Valles, ou plus tardifs comme Sadi-Carnot, Jules Ferry ou Léon Blum mais toujours à l’exception notable de Paul Bert.
303-6

La génération « Y »a ainsi pu mesurer l’écart entre les communications modernes et celles de l’époque. Il y a loin entre le SMS du téléphone portable et le pli apporté par le facteur rural de la IIIe République.