La toile peinte du lycée Jacques-Amyot (parloir)

Des noms pour honorer les combattants de la Grande guerre

 

Cette toile,  fixée sur un châssis en bois, date de 1920 et a été réalisée à l’issue d’une décision du Conseil d’administration du lycée. Emmanuel Morisset, le principal (le lycée était encore appelé collège) souhaite alors honorer les combattants de la guerre 1914-1918 qui ont eu un parcours dans l’établissement (élèves, surveillants, professeurs, agents..). Elle est à classer dans la catégorie des plaques commémoratives qui furent posées au lendemain de la guerre dans les églises, les écoles et les édifices républicains. À Auxerre sont alors fixées des  plaques de marbre dans les églises (Saint-Pierre ou Saint-Eusèbe), dans les écoles  (ancienne école de garçons du Temple, rue P. Bert ou École normale d’instituteurs), sans oublier les plaques de la Préfecture (salle des pas perdus) ou du Conseil départemental (hall).

Cette toile peinte présente à l’époque un double avantage : c’est une solution économique en l’absence de fonds et sa réalisation est plus rapide que la commande d’une plaque de marbre. Son auteur  Maxime Bigerelle, originaire de Douai, est professeur de dessin au lycée depuis 1907. Il a donc connu nombre d’élèves et d’enseignants qui ont été mobilisés. Son fils Paul (inscrit dans la partie gauche des décorés) a combattu avec les Tirailleurs sénégalais (99e  batterie).

La toile est naturellement située dans un espace public, le parloir, où se retrouvent parents et élèves et où les enseignants passent pour pénétrer dans le bureau du proviseur. C’est une œuvre à visée didactique et patriotique. Au centre de la toile est inscrite la liste des 158 morts : « morts pour la patrie». À droite et à gauche sont écrits les noms des « décorés et cités », soit environ 220 morts ou vivants. Parmi les morts, comme dans toute la France, domine la part des jeunes gens : un tiers avait entre 19 et 21 ans et beaucoup entre 22 et 27 ans. Les gradés sont nombreux et correspondent à la réalité sociale d’un lycée bourgeois sélectif : une cinquantaine d’officiers et 25 sergents, soit un total de 81.

 

Des images pour exalter le sentiment patriotique

 

Cette œuvre ne témoigne pas d’une valeur picturale majeure. Le dessin, simple et réaliste,  est un langage symbolique, véhiculant quelques messages. Le premier  est celui du culte aux morts.  Le vaste bouquet de roses et la fumée montante de l’urne sont l’expression d’une cérémonie funéraire qui est offerte aux disparus. Le clairon évoque la sonnerie aux morts tandis que l’urne symbolise leur sacrifice qui a permis la victoire, représentée par la couronne.  Cet hommage solennel exprime aussi  le deuil.

Le second message est  celui du patriotisme  républicain. Les morts sont tombés pour défendre la Patrie,  la Nation (ruban tricolore) mais aussi  la République, symbolisée ici par ses rameaux de chêne (à gauche du panneau de titre) et d’olivier (à droite). Synonymes de justice et de paix, ces symboles de la République romaine, sont aujourd’hui présents sur l’emblème de la Présidence de la République (sur le pupitre des discours présidentiels) ou sur la couverture des passeports.

Le dernier message est la glorification de l’héroïsme militaire. N’oublions pas qu’il s’agit alors d’un lycée de garçons. Une fourragère enserre le cartel de titre. Cette décoration collective (un cordon tressé muni de ferrets pendants,  porté à l’épaule gauche de l’uniforme)  attribuée à une unité militaire, est ici fictivement accordée au lycée. Les décorations individuelles ne sont pas oubliées. Morts et vivants sont cités avec leur décorations, dessinées en miniature après leur nom : une ou plusieurs étoiles pour les citations (sans préciser à quel ordre), Croix de guerre (médaille avec deux épées),  Médaille militaire (ronde) et  Légion d’honneur (5 branches). La Croix de guerre est une décoration prestigieuse qui fut créée pour cette guerre. Elle est placée avant les autres décorations et met à l’honneur l’héroïsme personnel des combattants civils.

De part et d’autre de la porte, d’autres images rappellent la guerre. Les étendards célèbrent la victoire d’une grande coalition de nations :  la Triple entente (à gauche de la porte et de gauche à droite : Belgique, France, États-Unis, Royaume-Uni et Italie ; à droite de la porte les mêmes drapeaux représentés dans l’autre sens et faisant symétrie).  La condition du poilu est évoquée par son équipement militaire  (casque, havresac, fusil Lebel, baïonnette « Rosalie », gamelle, bouteillon), sans oublier l’enfer des tranchées (poteaux et fil de fer, obus et canon, jumelles d’observation). La virilité guerrière est une vertu consensuelle dans un lycée de garçons.

 

clichés : F Gand