11 Mai 1942 : les élèves sont interpelés parce qu’ils marchent trop bien au pas!

première publication : jeudi 18 octobre 2007

Le lundi 11 mai 1942, en fin d’après midi, un soldat allemand interpelle un groupe d’élèves sortant de l’Arbre sec. Il demande des comptes à leur professeur, qui s’exécute sans comprendre. Dès le lendemain l’incident remonte jusqu’aux plus hautes autorités et révèle, malgré lui, combien fut pénible la soumission française aux autorités d’occupation allemandes.

1. L’incident, 11 mai 1942

De retour au lycée, l’enseignant, Monsieur Jeannin, se rend chez le proviseur, M. Sire, qui lui demande de dresser rapidement un rapport :

«  Après la coutumière demi journée de plein air au stade de l’AJA, je ramenais vers 16 H 30 les élèves des classes de Math, Philo, 1ères au lycée Jacques Amyot. Ceux-ci marchaient en colonne par 3 sans chanter. Un militaire de l’armée d’occupation m’a fait arrêter les élèves au Pont Paul Bert et m’a posé les question suivantes :

« Qui sont ces jeunes gens ? D’où venez-vous ? Avez-vous le droit d’avoir cette formation de marche ? Combien avez-vous d’élèves ? L’adresse de M. le Proviseur ? Mon adresse personnelle ?

Je lui ai fourni les explications nécessaires et copié les adresses sur un carnet qu’il m’a présenté. Il m’ a ensuite donné congé. Les élèves sont repartis au pas cadencé. Pendant l’entretien, ils ont gardé le silence le plus complet  »

2. Le proviseur prévient le préfet, 12 mai 1942

Dès le lendemain, le proviseur, inquiet d’une éventuelle persécution allemande, rédige un courrier au préfet Charles Daupeyroux. Ce dernier est chargé des relations avec les autorités allemandes car, selon la Convention d’armistice du 22 juin 1940, il représente le gouvernement de Vichy qui s’est engagé à « aviser les autorités et services des territoires occupés qu’ils auront à se conformer aux décisions des Commandements militaires allemands et à collaborer correctement avec ceux-ci. » (article III)

Le proviseur lui transmet donc le rapport de M. Jeannin et ajoute :

«  c’est sur mon ordre que les élèves se déplacent entre le lycée et le stade en colonne et au pas ; ainsi l’esprit de discipline les pénètre peu à peu, il n’ y a aucun traînard, le déplacement se fait en un temps moindre. J’ai interdit les chansons de route car, pour l’instant, les élèves ne savent que brailler »

Une copie est envoyée à l’inspecteur d’académie.

3. Le préfet prévient la Feldkommandantur, 20 mai 1942

rapport1942 Depuis le mois de juin 1940, soit la défaite et l’armistice, les Allemands ont établi une administration militaire dans la zone occupée (zone nord). De Paris, le commandant d’Otto von Stülpnagel dirige cinq districts militaires, dont celui de Dijon auquel appartient l’Yonne. Un quartier général départemental, appelé Feldkommandantur, en assure le contrôle, comme dans tous les autres départements occupés. A Auxerre, le Feldkommandant, un lieutenant-colonel, supervise deux états-majors, un état-major militaire, qui s’occupe des troupes en garnison ou de passage dans l’Yonne, et un état-major administratif qui est l’interlocuteur de l’administration française. C’est lui qui réquisitionne la production, agricole notamment, du département et qui impose ses décisions par le biais de la Préfecture et de ses propres services de propagande (Propaganda Staffel) auprès du Bourguignon, l’ancêtre de l’Yonne républicaine.
Le 20 mai, le préfet, jusqu’alors occupé par l’aggravation des réquisitions allemandes, transmet le dossier à la Feldkommandantur :

« «  J’ai l’honneur de vous faire connaître l’incident suivant (…) ; venant de faire une demi journée d’éducation physique au stade dit de l’ « Arbre sec », un moniteur ramenait vers 16h30 les élèves de 3 classes du lycée Jacques Amyot. Ceux-ci marchaient en colonne par 3 sans chanter. Un militaire de l’armée d’occupation a fait arrêter ces élèves et a posé différentes questions au moniteur qui les accompagnait, lui demandant en particulier s’il avait le droit d’adopter cette formation de marche. Je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître, afin d’éviter tout incident à l’avenir, s’il est interdit aux élèves d’établissements d’enseignement, de se déplacer en rangs et en marchant au pas .. » »

4. La Feldkommandantur répond, 2 juin 1942

Les Allemands redoutaient alors toutes sortes de commémorations, notamment patriotiques, qu’ils pensaient, non sans tort, susceptibles d’engendrer la révolte. Les célébrations du 14 juillet et du 11 novembre étaient interdites tout comme les chants patriotiques et le drapeau national. Les manifestations commerciales ou sportives, les foires et marchés étaient non moins soumis à autorisation. Ainsi dans la réponse allemande au préfet, un officier, le Dr Richelmann, rappelle-t-il, au nom du Feldkommandant, l’interdiction des manifestations :

« Conformément au paragraphe 4 de l’ordonnance du Chef de l’armée en France, en date du 28 septembre 1940, les cortèges sont interdits. »

Puis l’officier tranche la question :

«  Toutefois, si une ou plusieurs classes marchent tranquillement en rang simplement en vue du maintien de l’ordre, ceci n’est pas à considérer comme cortège interdit, mais peut être admis.  »

5. Le préfet informe l’inspecteur d’académie de l’Yonne, 9 juin 1942

« .. je me suis renseigné auprès des autorités d’occupation qui viennent de me préciser que ne sont pas considérées comme interdits les déplacements d’élèves marchant tranquillement en rang simplement en vue du maintien de l’ordre. En conséquence il n’y a aucun inconvénient à ce que les élèves des différents établissements d’enseignements continuent à se déplacer à condition toutefois que le silence le plus complet soit observé. »

Epilogue

Plus de soixante ans après l’événement, on pourrait s’interroger sur l’origine de cet incident. Les élèves avaient-ils esquissé un début de chant patriotique ou de provocation à la vue du soldat ? Ce dernier était-il dans son rôle en faisant preuve de pareil zèle ou cédait-il à une passion plus mystérieuse ? Quoiqu’il en soit, ses supérieurs lui donnèrent tort et le préfet profita de la décision allemande pour armer l’inspecteur d’académie contre toute nouvelle menace. Toutes les écoles : « les élèves des différents établissements d’enseignements continuent à se déplacer » pouvaient laisser circuler les élèves sous condition habituelle. En réalité, le préfet avait sans doute craint que les autorités allemandes ne profitent de l’incident pour interdire les déplacements scolaires. On imagine mal à quel point les caprices allemands pesaient sur la vie quotidienne. Cette époque est aujourd’hui bien loin. Les élèves continuent toutefois à se rendre à pied à l‘Arbre sec pour leurs cours d’éducation physique.

Source principale : ADY